Mais Bloch est lucide : il ne sombre pas dans le « tous pourris » et ne sonne pas une charge populiste contre les élus du peuple qui font tourner bien ou mal la démocratie : « Il faut avoir le courage de le dire , note Bloch. Cette faiblesse collective n’a peut-être été, souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles. »
Il est en effet bien trop facile de faire reporter sur le seul Président Macron la responsabilité de l’actuelle paralysie politique. Ce sont les électeurs, pas lui, qui, dans le secret des isoloirs, ont inventé l’équation infernale d’une chambre introuvable tripartite ou chacune des parties se refuse à se rapprocher d’une autre.
Mais qu’importe : dans la Ve République, c’est le chef à plumes suprême qui est comptable de l’échec alors que les lampistes comme les chefs de rayons et les sous-offs sont absous.
Du jamais vu : un Français sur deux se déclare 'très favorable' à la démission d’Emmanuel Macron.
Injuste sans doute mais c’est comme ça. On connaît le mot de Joffre : « Je ne sais pas si c’est moi qui ai gagné la bataille de la Marne. Mais il y a une chose que je sais bien : si elle avait été perdue, elle l’aurait été par moi. »
Vérification par le sondage de Toluna Harris Interactive aussitôt après la démission de Sébastien Lecornu. Un rejet d’une ampleur inédite. « 73 % des Français sont favorables à la démission d’Emmanuel Macron » . Pire : un Français sur deux se déclare même 'très favorable' à cette issue. « Nous n’avons jamais mesuré ça », commente Jean-Daniel Lévy.
Les raisons personnelles ne manquent pas : Emmanuel Macron qui dispose de trois cerveaux exceptionnels concasseurs de dossiers et tournant en même temps avait la conviction qu’il était le cortex cérébral du pouvoir. Le top manager. Et il mettait toute son énergie à l’adaptation de la Maison France, rebaptisée « start-up nation » aux normes en vigueur, au libéralisme à tous les étages, à la pensée McKinsey, y compris s’agissant de l’Etat social.
Un entourage d’officiers d’ordonnance
En fait, il pensait seul. Il composait son entourage avec des officiers d’ordonnance et jamais avec des généraux d’active issus du rang. Pas un seul syndicaliste promu. Pas un ingénieur. Pas un prof. Pas un agriculteur. Et tant et tant de hauts, très hauts fonctionnaires. Macron dispensait sa parole « top -down » dans les « grands débats » en challengeant les « gilets jaunes » et les parterres populaires soigneusement sélectionnés. Avec courage, il affrontait ses contradicteurs. Mais il écoutait peu. Il professait. Il exerçait un magister.
Certes des réformes, il en a fait comme celle dela Défense qu’il a dotée d’un vrai budget et dont il a élargi le périmètre à l’espace. Et il faut lui reconnaître qu’il pèse fortement sur le conflit ukrainien et la géopolitique européenne.
En revanche, la réforme de l’Etat, contournée par ses prédécesseurs, il l’a loupée comme ces derniers. A commencer par celle de l’Education dont le rendement décroît au fur et à mesure des réformettes qui sont claironnées à coups de cymbales et alors même que le nombre d’élèves diminue…
Encore une fois tempérons la sévérité et rappelons que le conservatisme de la société française et de ses corps intermédiaires n’est pas pour rien dans ces échecs. L’ennui c’est qu’en voulant piloter d’en haut les jeux de rôles et contourner les acteurs supposés scrogneugneu, Macron s’est vaporisé.
« Un président grandi en hydroponie » (Jerôme Fourquet)
C’est sans doute Jerôme Fourquet qui avait le mieux cerné cette jupitarisation des cimes dans son livre La France d’après . Hors-sol à force d’être olympienne : « Alors que Chirac et Mitterrand avaient conquis le pouvoir en s’inscrivant dans une tradition politique enracinée de longue date dans des terroirs spécifiques, l’avènement du macronisme s’est produit sur un terrain sociopolitique que l’on pourrait qualifier d’hydroponique, à l’image de ces substrats neutres et inertes sur lesquels sont cultivés sous serre certains fruits et légumes. »
Et c’est embêtant pour un président qui souhaite « upgrader » la République et ses 68 millions d’habitants et les faire entrer dans la postmodernité du grand marché tout en faisant l’impasse sur le sens collectif de l’action publique. Sur le sens d’un Etat social dont les vocations et le dévouement cimentent la société. Macron s’est surtout ingénié à réussir l’adaptation aux règles de la concurrence, de la privatisation et des normes. Une nécessité comptable. Mais pas une fin.
En mai 1992, la revue L’Histoire (mensuel 155) célébrait les 200 ans de la République. Maurice Agulhon, connaisseur intime de la IIIe République, la vraie matrice de nos institutions, gâchait un peu la fête en pointant les paresses d’une République qu’il jugeait plan-plan. Sans ressort.
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